Le Saussinet

n°15

Août 2012

10260 - Rumilly-lés-Vaudes

                                                       

La Rocatelle

Située au sud-est de Rumilly, dans la direction de Jully-sur-Sarce, sur la route de Fouchères à Vougrey, cette vieille maison de maître est pleine de l’histoire de ses anciens occupants.

La plus ancienne mention la concernant nous reporte à la fin du XVIème siècle où on découvre un Jean Petitpied, seigneur, entre autres, de la Rocatelle. Sa fille Hélène épouse Jacques le Boucherat qui devient alors nouveau seigneur de ce domaine en 1601.

Autorisé par le roi, en 1609, à élever sur ses terres, des fourches patibulaires, il meurt en 1625.

Son fils Jacques II lui succède, l’année suivante. Membre de l’Élection de Troyes, il devient ensuite maître d’hôtel du roi et cède bientôt la place à son fils Charles qui naît de Gabrielle Rémond, son épouse. Auparavant, il avait donné, en échange d’un arpent du Pré de l’Eglise, cinq quartiers de pré lieudit le Poirier au Héron tenant d’un bout à la rivière d’Ozain et d’autre sur les champs de Molesme, avant de léguer, en 1650, tous ses biens à ses enfants ce qui lui permettra d’évoquer son âge, 75 ans en 1674, et le fait de n’avoir plus rien qui lui appartienne pour ne pas répondre à la convocation qui lui sera faite de partir au service du roi.

Il est vrai que c’était l’époque de la Fronde et que Jacques et Charles Boucherat, père et fils, se targuaient de n’être pas d’accord avec le monarque : ils avaient suivi, en 1649, au Palais royal à Troyes, cette assemblée préparatoire aux Etats Généraux qui avait voulu se prendre plus au sérieux qu’il n’aurait fallu. Un auteur anonyme en a raillé les participants, en particulier :

“Les seigneurs de la Rocatelle

Couverts de clinquant et de dentelles.

Leurs panaches sur leurs chapeaux

Parurent presque les plus beaux”.

Une nouvelle demeure.

Charles avait donc hérité du fief quand il épousa, en 1650, Anne de Chastelux, baronne d’Avignot.

C’est lui qui fit, sinon reconstruire la maison “autrefois toute simple avec grange et pourpris, 25 arpents de terre pré et bois,” mais qui la fit transformer puisque en 1718 c’était “un château” qu’il habitait.
Même l’entrée fut remaniée ; au bas d’un pilastre on pouvait lire
“Cette pierre a été posée par Dame Anne de Chastellux, dame d’Avignot, femme de Messire Charles de Boucherat seigneur de céans, le trois août 1654”.
L’autre pilastre portait cette inscription, gravée sur un arc-boutant :
“Vigilantibus omnia fausta”.

De chaque côté, deux lions assis surveillaient l’entrée tenant tous deux un écusson.

Sur l’un était représenté un coq, armes de la famille :
“De gueules, à coq d’or, crêté et onglé de gueules,” un coq qu’évoque encore pour nous, sur le territoire de Jully-sur-Sarce, la ferme du Coq Doré.

Charles Boucherat eut à répondre plusieurs fois à des convocations adressées par le bailli de Troyes. L’une d’entre elles ordonne “aux gentilshommes et aultres subjects au ban et arrière-ban de Sa Majesté cy après nommés... de se trouver au mardy 24 du présent mois (1691) quatre heures après-midy, audevant du palais royal de Troyes, montez et équipez, pour l’exécution des ordres du roy...”

On l’a dit maître d’hôtel du roi, cornette puis capitaine. En 1693, un an avant sa mort, il semblait n’occuper que la place de guidon c’est-à-dire la seconde place après l’officier d’une compagnie de cavalerie .

Il meurt sans laisser de descendance ; son épouse lui survit jusqu’au 1er août 1713. Elle était alors âgée de 75 ans et fut inhumée “proche son banc, dans le choeur de l’église” de Rumilly.

Le domaine est alors loué à Edme Jolly, jusqu’à ce qu’il soit vendu en 1718, par Achille Balthazar de Fourcy, (fils d’Henri et de Madeleine Boucherat) à Charles Armand Flobert, écuyer, gendarme ordinaire de la garde du roi, demeurant à Troyes, qui laissera le souvenir de sa fonction à un lieudit de notre village : le pré Gendarme.

Charles Flobert reçoit de son épouse plusieurs enfants qui ne vivront que peu de temps. Il reste donc sans héritier direct. Il semble que ce soit l’un de ses cousins qui prenne sa succession, un nommé Louis Lerouge qui épouse en 1737, Edmée fille de Edme Jolly, bailli gruïer de Rumilly . Celle-ci meurt l’année suivante en donnant naissance à deux jumeaux .

La propriété passe ensuite vers 1757, en entier ou en partie, à Claude Labille, changeur pour le roi à Bar-sur-Seine. Celui-ci cumule le titre de seigneur de la Rocatelle et la charge d’amodiateur de la seigneurie de Rumilly. Il décède le 12 juillet 1781, à 62 ans.

On constate ensuite la présence à la Rocatelle d’Étienne Charpy Labille, signalé en 1784 et de Madame veuve Charpy Labille Marie Ursule qui y demeurera pendant toute la période révolutionnaire. C’est elle qui recevra, après 1793 l’un des prêtres insermentés, lui offrira asile, mettra à disposition sa chapelle particulière et favorisera, en cas de poursuites, sa fuite du côté de la forêt. C’est elle qui, profitant de la situation particulière de son domaine en pleine campagne, à proximité des bois, loin de toute agglomération, lutte farouchement contre ceux qui veulent faire triompher les idées nouvelles ; elle résiste aux réquisitions et, régulièrement, quand la loi se fait moins rigoureuse, déclare : “choisir sa chapelle pour l’exercice du culte catholique” .

Son fermier exploite les 13 hectares de terres du domaine dont le revenu est estimé à 196 livres sur l’état de section dressé en l’an VI ; il se nomme Claude Dutertre . C’est le deuxième marchand-laboureur de la commune. Il a été élu syndic en 1787.

Une des nièces de Marie Marguerite Charpy, la propriétaire, épouse vers 1800, Jean-Baptiste Parfait Antoine Recoing. Celui-ci était né peu avant 1770 près de Joigny. Il était sorti ingénieur de Polytechnique. Retiré à Sens lors de la grande aventure révolutionnaire, il avait refusé “le serment de haine à la royauté”. On a écrit que c’est grâce à son action que la cathédrale de cette ville n’a pas été détruite.

Par son mariage, il entra à la Rocatelle et s’y fixa. Le second de ses fils naquit sourd-muet et ceci amena son père à se consacrer tout aux études pour le soulagement de cette catégorie d’infirmes ; n’a-t-on pas dit que ses travaux en cette matière eurent un certain retentissement ?

Son épouse lui avait donné un premier fils Pierre Antoine, le 8 vendémiaire an X. Celui-là devait, dès 1830, être nommé trésorier de la Fabrique, en devenir le président en 1864 après quatre années d’efforts consacrées à la réparation de l’église ; il ne faisait en cela que suivre l’exemple de son père qui avait assuré cette même présidence de 1811 à 1829, juste avant son décès en 1831.

Pierre Antoine Recoing fut élu maire de Rumilly le 30 avril 1871 . S’agit-il de ce maire dont s’est gaussé Edmond de Goncourt . Il est bien difficile de prendre pour argent comptant cette nouvelle d’un écrivain dont on connaît la fertile et caustique imagination.

“Quand Monsieur Jousseau passe en son cabriolet d’osier devant le portail de l’église, le Saint-Martin sous son dais festonné ajusté aux meneaux, lève son petit bras de pierre et met sa main devant ses yeux, en auvent, pour mieux voir...

Même comme les portes sont ouvertes, du fond de l’église, les personnages du retable, les soldats juifs et les saintes femmes tâchent de jeter l’oeil par-dessus les chandeliers d’argent de l’autel, et les deux larrons quasi morts retrouvent un regard pour ce spectacle étrange ; M. Jousseau, M. le maire, dans son cabriolet d’osier, défile devant l’église, costumé en odalisque !”

Pierre Antoine Recoing, tous les lundis de Pâques, invitait à la Rocatelle, les ouvriers qu’il comptait employer pour la moisson et leur offrait les “roulées”. Ceux qui acceptaient ainsi de manger les oeufs durs avec lui étaient virtuellement engagés pour les travaux de l’été.

Adélaïde Stéphanie Babeau, épouse Recoing, fut marraine de la cloche bénie le
11 novembre 1873.

En 1876, les deux familles Recoing quittent la commune. Dans la chapelle de la Vierge qui leur était réservée en l’église de Rumilly, on peut voir encore un tableau ayant appartenu à la chapelle de la Rocatelle dont le mobilier fut racheté en 1877 par la Fabrique : six chandeliers, un meuble pour ornements, neuf prie-dieu, des chaises, un ciboire et des ornements, sans compter un goupillon et des burettes, le tout pour la somme de 187 francs. On avait donné par-dessus, un lustre et un tapis fort convenable (sic).

Une seule pièce intéressante dont le dessin nous a été transmis par Ch. Fichot n’était pas comprise dans cette cession à l’église de Rumilly.

Il s’agit d’un calice en vermeil dont le pied avait la forme d’un hexagone orné de blasons et qui provenait, a-t-on dit, de l’ancienne commanderie des Chevaliers de Malte à Avalleur.

C’en était presque fini d’une maison qui avait connu des propriétaires illustres, certains étaient fortunés, d’autres n’ont tiré richesse que de leur courage et de leurs convictions.

Les plans des locaux actuels ne sont plus tout à fait ceux des anciens bâtiments.

Une grille splendide a disparu qui s’ouvrait à l’entrée de la cour principale et qui était encore en place en 1930 quand MM. Rietsch devinrent propriétaires du domaine.

Ce sont eux qui équipèrent la Rocatelle d’une scierie mécanique actionnée par une machine à vapeur, laquelle était destinée non seulement à fournir l’énergie nécessaire à l’atelier mais aussi à alimenter la propriété en électricité.

La Rocatelle d’autrefois n’est plus. Mais on s’inquiète de la sonorité qui existe encore sous l’escalier du bâtiment principal parce qu’on sait qu’on y a autrefois découvert une cavité, sorte d’entrée d’un possible souterrain. On ne peut que : situer l’emplacement de l’ancienne chapelle de Madame Charpy au sud-ouest du bâtiment principal et chercher inséré dans un mur proche, la pierre au coq.

La Rocatelle d’aujourd’hui n’est plus qu’un domaine comme les autres, au sud-est de Rumilly, dans la direction de Jully-sur-Sarce et de Vougrey, sur la route de Fouchères à Vougrey, mais si fidèlement et amoureusement restauré

   

Face à l’allée qui mène à la Rocatelle, un monument est élevé à la mémoire des soldats morts pour la France sur les communes de Vougrey, Jully et Rumilly et notamment des 32 prisonniers massacrés le 16 juin 1940 non loin de là.

   

Sur le monument, à la mémoire de trois des quatre soldats morts pour la France à Rumilly.

 

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