Le Saussinet

n°16 bis

Septembre 2012

10260 - Rumilly-lés-Vaudes

                                                       

L'arbre qui pleure

par Jean DAUNAY

ancien directeur de la Colonie de vacances de Sainte-Savine

à Montceaux lès Vaudes

 

Le château Larribe actuel

 

    Dans le parc du château de Montceaux-lés-Vaudes, deux arbres étaient accolés l’un à l’autre, presque tronc contre tronc, leurs branches se mêlant.

    Quand passait le vent, une plainte semblait s’élever, tantôt longue, parfois brève, douce surtout, du frottement de leurs deux troncs.

    Les enfants de la colonie de vacances qui connaissaient bien ces deux arbres et qui, souvent, venaient écouter leur chanson avaient surnommé le plus gros : l’arbre qui pleure.

    Savez-vous aussi qu’à l’intérieur du domaine existait, encore il y a quelques années, un vieux bâtiment, moitié grange, moitié cave dont n’apparaissait guère que le toit et qui était entouré d’un fossé profond où croupissait une eau verdâtre ?

    C’était tout ce qui rappelait le vieux château des anciens seigneurs du lieu.

De ces deux éléments est née l’histoire de Guyette,

 l’histoire de l’arbre qui pleure.

    Il y a bien longtemps, à Montceaux, s’élevait un donjon austère entouré de quelques sombres murs. C’était la demeure du comte de Montceaux.

    L’épouse du châtelain, cloîtrée en ce manoir sans lumière et sans gaieté, se désolait. Non parce que son mari était brutal et autoritaire plus qu’il ne le fallait mais surtout parce qu’elle n’avait pas d’enfant et qu’elle se sentait bien seule.

    Un jour, on apprit la nouvelle. Les vilains furent conviés à venir battre, la nuit, de leurs longues perches, les fossés du château afin d’empêcher les grenouilles de coasser. C’était le signe que la dame attendait un enfant et qu’on voulait ainsi permettre qu’elle se repose au mieux.

    Ce fut une fille qui naquit, douce, fragile, blanche de peau et blonde comme les blés. Le père en fut très fier bien qu’il eût préféré un garçon et sa mère porta sur le nouveau-né toute sa tendresse.

    Ils vécurent alors aussi heureux qu’on puisse l’être en une si lugubre demeure, pendant quinze longues années, jusqu’à ce qu’un jour apparaisse le triste sire de Chappes qui, de l’autre côté de la Seine, possédait un château magnifique bien plus important que celui de Montceaux, avec double enceinte et pont-levis, un personnel important, des chevaux et des terres.

    Une alliance avec un aussi puissant seigneur n’était pas pour déplaire au père de la jeune damoiselle, aussi accueillit-il avec joie la demande officielle que lui fit ce haut personnage. C’est ainsi que Guyette fut, à Pâques 1329, fiancée contre son gré à Erard de Chappes.

    Contre son gré car, en secret, elle aimait le jeune seigneur de Rumilly, un jouvenceau qu’elle avait aperçu, chassant aux environs.

    Alors, à son père, Guyette osa avouer son désespoir et son amour. Le seigneur de Montceaux entra dans une violente colère. Tellement il était hors de lui qu’il était impossible qu’on comprît ses paroles. Si rouge il était devenu qu’on craignit qu’il éclatât.. Sa colère fut terrible.

    Il refusa de rien entendre. En la plus haute chambre du donjon, il enferma sa fille, horrifiée et désespérée.

    Dans sa tête vilaine il chercha le moyen de se venger de celui qui bafouait ainsi son autorité. Aussi, quelque temps après, apercevant le jeune seigneur de Rumilly qui galopait non loin de Montceaux dans l’espoir d’apercevoir la jeune Guyette, se prit-il à rire méchamment. Il avait trouvé.

    Parce qu’il était un peu sorcier comme l’étaient pas mal de gens à cette époque, ce lui fut facile de dire, accompagnant ses paroles de gestes bizarres : « Ah ! ah ! tu veux galoper ? Eh bien, galope, mon ami, galope. Sois le Vent de la plaine. De par mon pouvoir je te condamne à errer indéfiniment dans la campagne. Souffle et siffle et roucoule mon jeune ami. Sois le Vent de la plaine ! »

    A cet instant disparut le seigneur de Rumilly devenu subitement invisible, perdu dans l’air immense, affolé, désespéré.

    Satisfait de cette mauvaise farce, tranquillement, notre comte de Montceaux s’en fut préparer le mariage de sa fille avec Erard de Chappes.

    Puis il fit descendre de la tour où il la tenait enfermée, la jeune Guyette. Il fut pour la première fois aimable avec elle et, pour la première fois, sembla se soucier de son bonheur.

    Mais là n’était pas le bonheur dont avait rêvé la prisonnière ; elle ne pouvait plus croire aux promesses de son père. Et, parce qu’elle était triste et lasse et parce qu’elle ne pouvait plus obéir, malgré son extrême faiblesse, sitôt qu’elle eut un pied sur le sol de la cour, devant les hauts murs du château, elle s’enfuit, passa le pont sur le fossé, courut pour, finalement, s’abattre au pied d’un arbre.

    Elle était morte.

    Un petit oiseau, sur l’arbre, chanta. Un violent orage s’éleva, les éclairs déchirèrent le ciel et le tonnerre gronda. Dans un gigantesque incendie disparurent le château et son propriétaire, tout d’un coup, complètement, sans qu’il n’en reste rien, plus même une pierre, rien d’autre que le pont qui passait le fossé, rien d’autre que cette sorte de cave sur laquelle, plus tard, on construisit un toit.

    On raconte que l’âme de Guyette habite depuis lors l’arbre au pied duquel elle tomba et sur lequel chanta l’oiseau.

    Voilà pourquoi, lorsque le Vent de la plaine monte jusqu’à Montceaux, tout doucement pleure cet arbre. C’est la Demoiselle de Montceaux qui soupire quand vient la voir le Vent, le beau et doux chevalier de Rumilly.

    

Les fossés de l’ancien château
aujourd’hui envahis par la végétation

A Montceaux, le chemin forestier

Armoiries
de la commune
de Montceaux-lés-Vaudes

 

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