Le Saussinet

n°18

Novembre 2012

10260 - Rumilly-lés-Vaudes

                                                       

 

2013-2014-2015 dans l’Aube : années du vitrail.

Ce sera pour le Saussinet l’occasion de faire l’inventaire des vitraux de l’église Saint-Martin, l’occasion d’essayer de décrypter le message que chacun d’eux apportait aux fidèles d’autrefois et qui permet à ceux d’aujourd’hui, ainsi qu’aux visiteurs, de les comprendre.

Mis en sureté avant le dernier conflit, Rumilly a eu le privilège de les voir revenir en 1952 à l’occasion de la célébration du 4ème centenaire de l’église.

La première chapelle à posséder des vitraux est celle de Saint-Claude, en fait la troisième chapelle à droite, en entrant dans l’église. Fichot affirme que “les vitraux (anciens) de Rumilly étaient d’une belle exécution et également remarquables par le brillant du coloris et la beauté du dessin : (que) malheureusement, ces fragiles ornements ont été considérablement endommagés par la grêle et, il faut le dire, par suite de l’incurie des fabriciens”. Et Lalore d’ajouter “Les verrières ne sont plus que des restes en comparaison de ce qui existait à l’origine de l’édifice”.

Il est certain que notre église n’a pas été favorisée par les éléments tout au long de son histoire.

Les 17 et 18 janvier 1739, de violents ouragans l’ont dévastée : “Ils ont renversé la flèche du transept, enfoncé plusieurs pans de couverture, percé les voûtes et détruit entièrement la vitre de la croisée du côté du nord et endommagé presque toutes les autres verrières”.

Soixante ans plus tard, en 1798, l’église est incendiée ; elle reste deux ans “exposée aux injures de l’air, avant que de pieux efforts eussent pu réaliser les secours nécessaires pour substituer une modeste charpente et une humble couverture à l’ardoise et aux belles galeries qui l’entouraient”.

Il faudra attendre 1856 avant que les fabriciens n’inscrivent à leur budget, 4000 F pour “la réparation des vitraux peints”, somme qui sera reportée d’année en année jusqu’en 1860.
Cette année-là, la commune gagne son procès contre l’État au sujet des droits d’usage dans la forêt ; la Fabrique voit là une façon de se tirer d’affaire. S’adressant aux conseillers municipaux, elle leur demande d’assurer désormais l’entretien de l’église ; nos édiles décident “d’attribuer 8000 F aux réparations à faire en cette église”.

C’est avant cette date que Fichot parcourait notre département ; il n’est donc pas étonnant qu’il se soit étonné de l’état de nos verrières, probablement en piteux état, aggravé encore par un orage le 14 juillet 1865. Ce dernier avait “percé à jour” les fenêtres du côté du midi. Le grand vitrail du transept “assurément le plus beau et le plus complet” avait été criblé par la grêle.

Ce que la Fabrique n’avait pu réaliser, la commune allait le prendre en charge. Mais certains dégâts devaient être probablement irrémédiables ce qui explique que ne restent actuellement que quatre verrières complètes et que toutes les autres ne présentent que des fragments. C’est le cas de la verrière de la chapelle Saint-Claude composée de six panneaux d’origine différentes, rassemblés en un seul vitrail par la volonté des restaurateurs.

 

Les trois personnes de la Trinité : Père, Fils et Saint-Esprit sont représentées dans le médaillon supérieur. Toutes trois sont vêtues de rouge.

Le Fils a les jambes et le torse nus. Il est assis à la droite du Père qui tient en main un livre ouvert “A chacune, le maître verrier a donné figure humaine mais, de plus, chaque visage se ressemble et porte le même âge. C’est bien l’égalité dans l’infini”.

 

Tout en haut deux angelots tendent leurs mains vers la chaleur des rayons émanant du nimbe solaire qui auréole Dieu le Père. Juste au-dessus, à gauche, des personnages anonymes lèvent les bras vers la Trinité et leurs regards suppliants se lèvent vers le ciel.

A droite, la scène est confuse ; autour d’un tombeau, une femme assise et son enfant sont accompagnées d’un vieillard et de trois personnages en prière.

Il semble que ces derniers représentent selon la coutume de l’époque, les généreux mécènes qui ont offert le vitrail.

Le vieillard , la femme et son enfant font très probablement allusion à un épisode de la vie de saint Claude, l’un des miracles qui se seraient produits sur les lieux de sa sépulture. L’inscription le dit d’ailleurs, qui surmonte le panneau situé immédiatement sous ce lobe trèflé.

J’essaie de traduire les deux lignes inscrites en lettres gothiques :

“Après qu’il but très saintement de l’eau jusqu’à vieillesse et le monde vaincu

Son âme prit riche habitacle.

Et les vertus font en terre miracles”.

Juste en dessous, sur l’autel, avec le livre des évangiles sont exposés la mitre, la crosse et le cilice du saint qui est à genoux et prie. Deux abbés, derrière lui, semblent attester le miracle et rendent grâces.

Cette verrière est traitée en une sobre grisaille, une teinte qui fait ressortir l’or de la crosse, de la mitre et de l’huisserie de la fenêtre qui éclaire la scène. Au-dessus du panneau supérieur gauche, on peut lire :

“Et néanmoins qu'il aimât beaucoup mieux servir Dieu simple religieux
Que d’être abbé.
Divine élection le fit abbé hors de son intention”.

La peinture que coiffe cette inscription représente le saint assis, un livre posé sur ses genoux qu’il parcourt des yeux. Deux évêques élèvent au-dessus de sa tête la mitre, insigne de sa nouvelle fonction. Quatre moines occupent les deux angles inférieurs du panneau. On sait que saint Claude fut nommé archevêque de Besançon au VIIème siècle.
Au bout de sept ans, il se retira dans un monastère (Saint-Oyen-de-Joux) dont il devint l’abbé. Comme la précédente, cette scène est traitée en grisaille. Seul l’or des mitre, crosse et franges des vêtements rehausse de son éclat la modestie voulue de l’événement. Certains connaisseurs attribuent ces deux fragments à Linard Gonthier (1575-1642) ce qui paraît peu possible. En revanche il est probable que cet artiste en a assuré la restauration.
 Les spécialistes se plaisent à reconnaître son style et les comptes de la Fabrique l’attestent : “A été payé à Linard Gonthier, maître verrier demeurant à Troyes, la somme de quarante livres tournois pour avoir racoutré les verrières de la dite église comme appert sa quittance du 8 juillet 1615”.
Admettons donc l’intervention de Linard Gonthier tout au moins en ce qui concerne les deux scènes supérieures de cette fenêtre. Les panneaux du registre médian frappent pas la couleur qui les anime. Les personnages vêtus de vif sont représentés entre deux colonnes, sur fond de tenture à motifs, d’un rouge puissant. On reconnaît à gauche saint Luc grâce au boeuf couché à ses pieds
Il peint le portrait de la Vierge. Un évêque lui fait face (ou un abbé) qui semble présenter au saint, le livre des évangiles.

Le panneau de droite nous intéresse particulièrement. Il a été offert à l’église par Jean de Gand, seigneur de la Motte et représente le donateur accompagné de Bernarde Le Bégat sa femme, de leur fils et de leurs six filles. Tous les neuf sont à genoux, accompagnés de Jean-Baptiste qui tient l’agneau sur son avant-bras gauche et semble, de sa main droite, désigner Jean de Gand. Il semble en même temps offrir au ciel la prière de ses protégés.
Ce panneau a été curieusement “racoutré” ; il a été bordé dans ses parties droite et basse, par des éléments hétéroclites, des débris d’autres verrières probablement, et placés là sans souci de vraisemblance pour servir d’encadrement.

On peut s’interroger quant à cette curieuse façon de concevoir la restauration d'un vitrail mais l’essentiel n’est-il pas que ce tableau nous ait été transmis, authentifié par les armes de chacun des protagonistes. Jean de Gand : “D’azur à la bordure d’or, au chef d’argent chargé de trois merlettes de sable”. Bernarde Le Bégat, sa femme : “De sable à la croix engrêlée d’argent avec une étoile à six branches d’or au canton dextre du chef” (Remarquons en passant comment les armoiries d’une femme sont enfermées dans un écusson en forme de losange).
Les deux panneaux inférieurs sont originaires d’une même verrière. Ils en sont la partie basse, celles qui comprend les donateurs agenouillés à droite tandis qu’à gauche, la Vierge assise semble vouloir vêtir l’enfant Jésus ; à ses pieds des langes débordent d’une corbeille. Un moine copiste ainsi qu’un personnage priant devant un crucifix, complètent le tableau.

La légende nous apprend que : “Bonne (?)femme de Naudin-Dossot a laissé par testament cette verrière en 1527” ; elle nous invite à  “prier Dieu pour tous les bienfaiteurs de céans et pour les trépassés”.

Une vierge noire

On a dit qu’elle trônait autrefois sur le noir autel de la chapelle du Manoir ;

“Noir” il la faut voir, non pas noire de peau comme on pourrait le penser mais probablement toute de noir faite, de bois d’ébène ou de pierre de jais, héritière de cette « ève », de cette eau que Ronsard qualifiait de « bénite », l’eau bienfaisante et pure issue du sein de la terre, là où ne pénètre pas la lumière, de ces profondeurs là où, pour nous, tout est d’un noir profond.

Ève, eau bienfaisante pour les humains, pour les animaux et la végétation, indispensable à la vie.

 

La "Sainte", au dessus de la source
il y a encore quelques années

A Rumilly n’y aurait-il pas comme une sorte de corrélation

entre cette vierge noire du Manoir et la vierge de la source de Chaussepierre
qui, à condition que les deux intéressés aillent ensemble en boire l’eau
 après y avoir jeté une épingle, était censée favoriser les mariages donc la vie ?

 

Nos vieux mots
 

chazière : panier d’osier pour le séchage des fromages.

chazrote : claie sur laquelle sèche un fromage

chazron : moule à fromage

chantiau : la part qu’emporte celui qui  offrira le pain bénit la prochaine fois

chanve : chanvre

 

 

Retrouvez  le SAUSSINET

au Café-Restaurant du Manoir à Rumilly-lés-Vaudes

et  sur le site internet : http://jean.daunay.free.fr